Saturday 2 May 2009

Ananas, Sibérie et Centre Culturel Français (Portrait)

Avec ses cheveux blonds et ses robes en velours bordeaux, Cécile Elzière détonne dans les couloirs du Centre Culturel Français. Pas de temps à perdre, le thé fumant est déjà prêt, et l’interview peut commencer. Une chose est certaine : Cécile a de l’énergie à revendre.

Tout en jonglant entre un élève dont le professeur est absent et un téléphone qui ne cesse de sonner, elle nous raconte avec humour sa rencontre avec la Russie, qui tient plus du coup de foudre que du simple clin d’œil. « Ma nounou, qui s’appelait Cécile également, avait vécu en Russie pendant cinquante ans. Elle nous en parlait avec une passion inégalée, qu’elle m’a petit à petit transmise. », se souvient Cécile. A partir de ses quinze ans, elle décide donc de passer chaque été de son adolescence à Moscou. Nous sommes en 1985, et quelques années plus tard, la jeune étudiante qu’est devenue Cécile, assiste à la chute de l’URSS. Le pain se fait rare et les queues pour les pommes de terre sont interminables. Ce qui n’empêche pas Cécile de partir, son diplôme de russe en poche, en Sibérie, pour la lointaine ville de Tomsk. Elle y enseigne le français à la faculté locale, non sans retenir des bâillements de profond ennui, et multiplie les projets : mise en scène de pièces de théâtre françaises, création d’une comédie musicale, participation à des programmes radiophoniques… Il y a aussi ces dîners mondains, où l’élite intellectuelle de Tomsk se fait un plaisir de l’inviter et de la placer auprès… d’un ananas. « Nous étions sûrement tous les deux un peu trop exotiques pour eux ! » s’amuse Cécile.

Au bout de trois ans, elle décide de quitter sa chère Sibérie, cette fois-ci pour Tallinn, afin d’apprendre la danse orientale. « Un choix qui n’était pas très logique ! » avoue-t-elle en riant. Revenue il y a quatre ans à Moscou, qu’elle appelle tendrement le « miroir aux alouettes », elle assure maintenant le poste de directrice des cours du Centre Culturel Français. A son arrivée, le CCF n’avait rien du rayonnement qu’il possède aujourd’hui. Les élèves étaient rares et l’offre de cours assez limitée. Cécile se souvient : « Lors mes deux premières années à Moscou, je n’ai pas dormi une seule fois plus de six heures par nuit et ma vie sociale était réduite au néant. » Mais, malgré ces sacrifices, la blonde pétillante ne regrette rien. Grâce à son acharnement, les inscriptions ont augmenté de 175% dès 2006. Depuis, le nombre d’élèves présents n’a pas baissé. Les locaux ont été rénovés, la bibliothèque a hérité de quelques centaines de livres supplémentaires et l’autofinancement de l’institution est en bonne voie. Une belle réussite. Cécile est ainsi. Elle fourmille de projets et aime les mener à bout.

Le dernier cheval de bataille de Cécile est d’essayer de changer un tant soit peu la vision qu’ont les Russes de la France. Aux dires de Cécile, ces derniers éprouvent une passion sentimentale incurable, où s’entremêlent rêves nostalgiques de dames élégantes et distinguées aux effluves d’une Belle Epoque qui n’est plus. Apprendre le français est davantage une preuve de bon goût et de parfaite éducation qu’une possibilité de donner de nouvelles perspectives à sa carrière. Difficile dès lors, pour la combative directrice des cours du CCF, de concurrencer les Language Certificate des écoles anglaises... Les cours alliant grammaire et initiation à la culture française ont bien plus de succès que ceux ciblant les businessmen russes.

Quand on lui demande son avis sur la communauté française à Moscou, Cécile répond avec une grimace gênée qu’elle ne la fréquente pas beaucoup. « Ce n’est pas que je n’aime pas les Français. Mais je préfère la compagnie des Russes. » Néanmoins, son travail au Centre Culturel Français l’a convaincue qu’il existe deux grands types de Français expatriés : ceux qui sont venus en Russie, un peu au hasard, à cause des aléas d’une carrière ou d’un mariage, et ceux qui sont ici parce qu’ils l’ont ardemment désiré. « Il n’y a pas de demi-mesure en Russie : soit on aime ce pays, soit on le déteste. » assure-t-elle. Et c’est souvent ce qui divise la communauté française, à ses yeux. Cécile prône l’intégration, voire l’immersion : pas question de venir en Russie pour ne traîner qu’avec des ressortissants tricolores, on apprend tant à côtoyer des Russes au quotidien ! Mais elle avoue que le choc culturel est grand et peut être difficile à surmonter. « Ce qui étonne au premier regard, c’est la rudesse des Russes. Les portes du métro lâchées sans ménagement, les bousculades incessantes… C’est assez difficile pour nous autres européens. », confirme-t-elle. Sans oublier cette dualité déconcertante de l’âme russe, qui déroute les plus cartésiens des Français et qui fait le bonheur de Cécile.

Mais, ce qui plaît le plus à cette dernière, est l’endurance des Russes. Elle se rappelle en riant une de ses excursions sur le mont Sinaï, il y a quelques années. « Le groupe de randonneurs regroupait plusieurs nationalités. Les Français râlaient en marchant. Les Américains étaient suréquipés et gambadaient en silence. Les Espagnols s’arrêtaient tous les dix mètres pour chanter des cantiques religieux. Les Russes, quant à eux, avaient des chaussures trouées et la cigarette au bec. Ils n’ont fait aucun détour. Ils sont arrivés les premiers. » Et elle ajoute en clignant de l’œil : « J’étais parmi eux !».

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