Saturday 2 May 2009

Jeux de hasard dans le meilleur des mondes

PORTRAIT : Olga Riabova, directrice de la librairie française Pangloss à Moscou


Olga Riabova croit au hasard. C’est lui qui a porté ses pas, il y a une dizaine d’années, vers la librairie Pangloss d’Emmanuel Durand. A l’époque, c’était encore un local minuscule aux étagères pleines de livres poussiéreux. Les clients, comme l’argent, se faisaient rares et la faillite menaçait. Mais Olga, qui aidait de temps en temps une amie qui y travaillait comme vendeuse, a refusé que l’on remette les livres dans leurs cartons, et que la devanture de la boutique ne s’orne d’une triste pancarte « A louer ».

Depuis le départ d’Emmanuel Durand, c’est avec opiniâtreté qu’elle se bat pour que survive la seule librairie française de Russie. Elle a dû affronter deux déménagements impromptus, dont l’un en trois jours, effectué à la seule force de ses bras. « C’était dur, se rappelle-t-elle. A nouveau, nous avons cru que tout était perdu. »


Mais, pour Olga, pas question de s’avouer perdante. Elle reprend la lutte et, petit à petit, se construit une clientèle solide et montre des qualités certaines de libraire, dans un choix de livres toujours renouvelé avec, parfois, des intuitions de génie. Comme cet auteur de bande dessinée, Bogdan*, qu’elle a découvert… par hasard. Les yeux brillants de fierté, elle nous présente les quelques albums que vend la librairie et affirme :

« C’est un succès ».


Pour Olga, croire au hasard est nécessairement lié à l’amour du risque. Car « suivre son destin, c’est accepter d’être confronté à des situations inattendues, pas toujours désirées. » Mais, si Olga s’étonne encore des chemins qu’a pris sa vie – elle rêvait de devenir biologiste –, elle admet avoir été plutôt gâtée par son étoile facétieuse.


Enfant, la future libraire était déjà bercée par l’amour de la littérature et des langues. Sa mère occupait un poste important à Intourist, et faisait partie de ces rares Russes qui, à l’époque soviétique, avaient le droit de voyager. Invités par sa mère, des Italiens et des Français défilaient à la maison. Les visiteurs aimaient apporter des livres d’auteurs russes interdits, déjouant les dangers de la contrebande. La jeune Olga put ainsi lire en cachette Le Docteur Jivago de Boris Pasternak, dont ses camarades de classe ignoraient jusqu’à l’existence. Mais, plus encore que les sagas historiques, Olga adore la poésie. Quels livres emporterait-elle sur une île déserte ? Aucun : elle connaît ses poèmes favoris par coeur. Pouchkine, Akhmatova, Tsvetaeva... Ce sont eux qui l’aident dans les moments difficiles. « Ils me protègent et me conseillent », glisse-t-elle dans un sourire. Et puis, par hasard encore, Olga fait connaissance de son deuxième amour littéraire : l’existentialisme. Passionnée, elle dévore Camus et de Sartre, que lui avait conseillés un ami français au détour d’une conversation banale. Mais comment concilier l’approche existentialiste avec la croyance au hasard ? « On a le droit d’avoir ses contradictions! », lance-t- elle en riant.


Justement, les paradoxes sont le quotidien de cette femme qui doit parfois accepter de vendre des livres dont elle désapprouve le contenu. « La littérature russe s’adressant au public français s’est terriblement dégradée. Les auteurs choisissent des sujets à sensation, comme les prostituées ou les oligarques, ou encore “ misent ” sur le côté maudit de l’âme russe. », se désole la libraire. Révélateur des difficultés que traverse la nouvelle Russie ? Pas aux yeux d’Olga. « Ces livres ne rencontrent aucun succès chez les lecteurs russes. Les Russes sont heureux : ce sont les Français qui les perçoivent comme les éternelles victimes d’une histoire tragique. » Olga est attristée par les préjugés qu’elle rencontre souvent dans la communauté française, elle qui se sent appartenir, au même titre, aux deux pays. « Parfois, j’ai l’impression d’avoir vécu en France dans une autre vie. C’est pour cela que je me sens obligée de dresser des ponts entre les deux cultures. », confie-t-elle. Créer du lien est bien l’ambition première d’Olga Riabova. Elle y parvient à coups d’évènements médiatiques, comme ces salons du livre à Novossibirsk et Krasnoïarsk, ou encore la venue d’Andreï Kourkov, écrivain ukrainien féru de littérature française.


Dans le Candide de Voltaire, Pangloss est un précepteur absurde et pédant, qui chantonne sans cesse « Tout va toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Installée dans ses nouveaux locaux, Olga Riabova partage cet optimisme et regarde l’avenir avec sérénité. Certes, elle fait confiance au hasard. Mais elle croit d’avantage encore dans sa persévérance et dans son désir de faire triompher la littérature comme trait d’union entre ses deux patries, de cœur et de lettres.

*Bogdan, NIKA, 2008, Editions Panglo

Andrei Kourkov sera de passage à la Librairie Pangloss le 7 avril 2009 à 18h.

No comments:

Post a Comment