Quand les riches jouent aux philanthropes
On s’imagine souvent les épouses des riches russes comme de jolies et stupides poules de luxe, roulant en Bentley rouges et rêvant uniquement de diamants. Yulia Abassova casse le mythe. Bien sûr, elle ne s’habille qu’en Yves Saint Laurent et à son bras se balance le célèbre sac Downtown, au prix modeste de deux mille euros la pièce. Ses cheveux bruns fréquentent le meilleur coiffeur de la ville, et ses chaussures léopard sont du dernier cri. Mais elle n’est pas de celles qui ne vous parleront que du défilé de Galliano ou du dernier club à la mode où elles ont passé des nuits si démentes.
Car Yulia a d’autres passions, et surtout, une autre façon de vivre. Née en Ukraine à Mariupol, elle grandit dans une famille d’ingénieurs russes. Son enfance est douce et sans difficultés. A dix-sept ans, elle part étudier à l’Institut de Chimie où elle rencontre son futur mari, Rafik Abassov, aujourd’hui riche constructeur immobilier pour la ville de Moscou. Après son mariage, tout s’enchaîne : leur premier fils naît et leur capital croît démesurément. Autour d’elle, c’est le même scénario qui se répète, et très vite, des milliers de jeunes filles se retrouvent comme elle : riches et désoeuvrées.
Mais Yulia refuse de rester inactive. Elle commence alors à acquérir des tableaux, au petit bonheur la chance. Petit à petit, elle trouve en l’Art un passe-temps amusant et se met à courir les expositions. A Moscou, bien sûr. Mais aussi à Paris, où elle se rend plusieurs fois par an. Elle y rencontre Alain Crombecque, qui dirige alors le Festival d’Automne. Grâce à ses influences et son argent, elle parvient à le convaincre d’inaugurer son exposition par l’oeuvre de Alexandre Ponomarev. Tandis que le périscope de ce dernier siège dans la Chapelle Saint-Louis de Salpêtrière, Yulia rapatrie un sous-marin, signé toujours de la main de son protégé, décidément hanté par les constructions navales, et l’installe à la IIème Biennale de la Moskova.
Devenue francophile et francophone, Yulia tente de reprendre une vie normale de riche épouse oisive. Mais elle ne tient pas en place, et très vite son esprit fourmille de nouveaux projets.Il s’agit cette fois-ci de son association Art Energy, qui permet aux enfants trisomiques d’étudier dans des écoles publiques. « Lorsqu’ils partagent leur quotiden avec des enfants ‘normaux’, explique Yulia, les enfants handicapés apprennent plus vite et s’épanouissent davantage, tandis que pour les autres élèves, il s’agit d’une expérience de tolérance formidable. » Malheureusement, les obstacles bureaucratiques sont nombreux dans un pays qui, comme le regrette Yulia, fait encore preuve d’une discrimination ouverte envers les handicapés mentaux et physiques.
Mais quel rapport entre sa passion pour l’Art et cet engouement soudain pour le sort des enfants trisomiques ? « Pour moi, l’Art ne se vit pas seulement dans les musées et les expositions. Il se vit aussi en aidant autrui. Construire un lieu de vie commun pour des enfants que seul sépare un malheureux chromosome 21, c’est un geste qui est beau et qui mérite de s’appeler de l’Art. C’est pour cela que mon association s’appelle Art Energy.», explique Yulia, avec ce sourire discret qui la caractérise.
Quand on lui demande s’il existe autour d’elle beaucoup de riches épouses qui jouent elles aussi aux mère Teresa en herbe, elle répond, amusée, qu’elle n’est pas une exception. « C’est parfois comique de voir comment les journaux dépeignent les nouveaux russes, surtout en Europe. Pourtant,nous sommes loin d’être uniquement intéressés par l’argent, la fête et le glamour. Pour la plupart, nous sommes ouverts sur la monde, et cultivés. » Et lorsqu’on évoque la question de l’argent comme valeur centrale de la classe aisée russe, elle admet que la réponse fuse : « Bien sûr, l’argent est important pour nous ! Mais beaucoup ont compris comme moi qu’il l’était à condition qu’il permette de construire de grandes choses, comme des orphelinats ou des écoles. Même si la plupart du temps ces actions caricatives ne sont pas pérennes, c’est un début. » Elle fait une pause de quelques secondes, puis ajoute gravement : « Il faut surtout que la classe riche de Russie n’oublie pas que son rôle a toujours été celui du mécénat. Il est temps que nous retrouvions notre vocation. »
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