Friday, 1 May 2009

Îles Solovetsky
îles sacrées, îles maudites.

Il fut un temps où être envoyé aux Îles Solovetski signifiait disgrâce et annonçait une mort certaine. Aujourd’hui, c’est toujours plus nombreux qu’affluent les chefs d’Etat et les touristes. Difficile, en effet, de quitter la Russie sans avoir visité ces îles, qui abritent un des plus beaux monastères orthodoxes et les ruines du premier Goulag soviétique. Le Courrier de Russie s’y est rendu ; suivez le guide !


LE MONASTERE : Une visite pleine de surprises


Situées dans la baie d’Onega, non loin d’Arkhangelsk, les îles Solovetski ont un héritage historique qui ferait pâlir d’envie plus d’un archipel. En 1429, un sympathique trio de moines, Zosima, Savvaty et German, décident d’y construire un monastère. Une par une, les pierres s’empilèrent pour former des forteresses et des églises ; un par un, les moines vinrent prêter main forte, puis restèrent dans ce qui devint bientôt un des monastères les plus imposants de Russie.

Contrairement aux dômes dorés de Moscou et multicolores de Kazan, ceux des îles Solovetsky affichent une sobre noirceur. Une façon pour le monastère de rappeler son lourd et douloureux passé, constitué de massacres et d’héroïques batailles contre les Britanniques, sans oublier la prison qui permit aux tsars de toutes les époques d’y envoyer ceux qui étaient tombés en disgrâce à leurs yeux. Ainsi, c’est dans un monde chargé d’histoire, aux murs blancs et aux bulbes noirs, qu’entre le visiteur.

Le monastère est enrobé d’une stupéfiante forteresse, aux pierres roussies par la mousse. Haute de huit mètres, sa construction relève du prodige. On chuchote même que les moines étaient aidés, pour leur lourde tâche, par tout un bataillon d’anges célestes. A l’abri derrière ces murailles, se trouvent plusieurs églises ainsi que deux cathédrales aux fresques colorées. Les icônes qu’elles abritent sont parmi les plus impressionnantes de Russie, à en rendre jalouse la galerie Tretiakovskaya. Pour le visiteur, faire le tour en une seule journée des splendeurs du monastère sera difficile, car les coulisses de la vie du parfait petit moine se révèleront aussi passionnantes.

Le monastère Solovetski présente en effet tout l’attirail du Moyen-Âge orthodoxe. On y trouve ainsi un moulin, l’atelier d’un tailleur, une blanchisserie, un hôpital, des dortoirs, des cuisines et surtout, un immense réfectoire à plafond unique, reposant sur un unique pilier. Des fresques ornent les murs tandis que le carrelage révèle un savoir-faire sans égal. On y mangeait en silence, et les repas se terminaient au son des prières que psalmodiaient les moines.

Ces derniers mangeaient exclusivement le fruit de leurs récoltes, qui étaient d’une grande diversité. Le temps d’une visite, on s’amuse à partager cette vie de labeur, qui s’écoulait au rythme des volées de cloches : le matin, c’est l’heure de la pêche : le monastère avait par ailleurs comme spécialité le hareng –malheureusement, la recette s’est perdue. L’après-midi, on bêche le potager avant d’aller se promener sur l’île de Muksamala, où broutent paisiblement des centaines de vaches. Une église non loin y est érigée, en l’honneur de Vlasy, Saint Patron… du bétail. Enfin, le soir, on court derrière les chèvres qui gambadent joyeusement auprès des murailles, sans se douter qu’elles finiront prochainement dans l’assiette des moines.

Heureusement pour ceux qui n’ont pas la fibre paysanne, le monastère regorge aussi d’activités que l’on qualifiera peut-être de plus intellectuelles. Comme la visite de la Sacristie de Solovetski. Voilà six siècles que les moines y conservent précieusement les rizas (robes) de leurs prêtres et les ouvrages qu’ils ont eux-mêmes composé : certains passaient jusqu’à dix ans de leur vie à l’écriture d’un seul livre ! On trouve aussi des objets à la valeur inestimable, comme le gobelet en bois de Zosima lui-même, croix en or massif et incrustées de saphir et d’émeraudes… Des cadeaux qu’Ivan le Terrible aurait fait en personne au monastère (il faut croire qu’il lui arrivait parfois de ne pas être si terrible que cela) sont aussi exposés dans cette pièce, creusée en-dessous de l’église Saint Nicolas. En 1835, la librairie comptait plus de quatre mille ouvrages précieux. Même si lors de la période communiste, plusieurs d’entre eux furent rapatriés à Moscou, la Sacristie des îles Solovetski reste considérée comme l’une des plus riches de Russie.


Visiter le GOULAG et marcher sur des os


En 1920, les cloches du monastère sonnèrent pour une dernière fois. Deux ans plus tard,Lénine décida d’y envoyer les « indésirables » : juifs et tsiganes, opposants politiques et intellectuels, petits et grands bourgeois se retrouvèrent ainsi pêle-mêle dans ce que Soljenitsyne a surnommé la « Mère du Goulag ». Le programme, SLON (éléphant en russe) était à l’origine destiné à « rééduquer » les ennemis du nouveau peuple soviétique. Une bibliothèque existait, ainsi qu’un journal mensuel, rédigé par l’ensemble des prisonniers. Certains prisonniers avaient même la possibilité de continuer leurs recherches scientifiques, interrompues par l’arrestation.

A la mort de Lénine, Staline a arrêté le caractère expérimental du camp, pour mieux le transformer en un véritable camp de tortures. Les conditions de survie y étaient extrêmes. « Aujourd’hui encore, on marche sur des os », murmure le guide, lorsque l’on s’approche du site de l’ancien camp, dont il ne reste désormais que quelques misérables ruines. Les fusillades faisaient partie du quotidien des prisonniers : en 1929, huit cents prisonniers furent mitraillés en une seule nuit ; quelques années plus tard, ce fut le tour de trois cents autres. Aujourd’hui encore, il est difficile de savoir avec exactitude le nombre de victimes de la barbarie de ce camp.

Néanmoins, le devoir de mémoire se fait lentement mais sûrement. Une salle au Musée d’Architecture et d’Histoire y est consacrée ; le visiteur y trouvera notamment une galerie de portraits émouvants, parfois accompagnés de gerbes de fleurs déposées par les proches des victimes. Mais pour mieux se plonger dans l’atmosphère pesante du programme SLON, rien de tel que la lecture de « L’Archipel du Goulag » et d’ « Une Journée d’Ivan Denissovitch », écrits par Soljenitsyne et inspirés par les îles Solovetsky.


Il est probable qu’après cette visite pleine d’émotions vous attrapiez une misanthropie aigue et une aversion temporaire pour toute forme humaine, responsable de tant de barbarie. Heureusement, les îles Solovki, en plus d’être un haut lieu concentrationnaire et ecclésiastique, présente aussi la caractéristique d’abriter une incroyable faune et flore. Le Musée Solovki, seul organisme habilité à sillonner sans exceptions les îles dans leur intégrité, propose une large série d’excursions « Découverte Nature ». Au programme : randonnées dans une forêt rougie par le feu de l’automne ou rendue blanche par l’épais manteau de l’hiver, mais aussi promenades à bord d’un petit canot, au cœur de l’île centrale. Impossible aussi de passer à côté de l’incroyable jardin des plantes, situé sur un ancien petit désert et ainsi nommé Makarevsky des déserts. Il s’agit du jardin des plantes le plus au nord de toute la Russie, et pourtant, les fleurs et les arbres qui y poussent sont d’une diversité stupéfiante. Un véritable bol d’air frais, afin de finir en beauté ce périple insulaire, qui sans nul doute, sera parmi les plus marquants de votre séjour en Russie.


Suppléments :

A ne pas manquer !

L'île Bolshoy Zayatsky

L’île Bolshoy Zayatsky abrite de mystérieux labyrinthes en pierre d’origine païenne. Leur signification est encore inconnue pour les archéologues, qui les datent de 1000 à 2000 ans av. JC. Certains pensent qu’ils ont été conçus afin de capturer l’âme des morts et les empêcher de rendre visite à leurs proches encore vivants. D’autres, plus prosaïques, considèrent qu’il s’agit d’un ingénieux système pour capturer non pas des fantômes, mais de simples poissons.

L'île Sekirnaya

La légende dit qu’une femme pleura à genoux devant les moines German et Savvaty, voilà quelques siècles, au sommet de l’île Sekirnaya. En effet, il y avait de quoi : une armée complète d’anges furieux venait de la chasser de sa maisonnée, sous prétexte qu’il fallait maintenant y construire une église ; ce qu’entreprirent aussitôt les braves moines. En 1862, on dota l’église d’un phare qui éclaira de sa lumière les rivages à des kilomètres aux alentours. Mais le sort lumineux de cette église ne tarda pas à s’assombrir. Au temps du Goulag, elle servit d’isoloir pour les plus horribles tortures. Aujourd’hui, on y honore la mémoire de ceux qui ont péri dans ce qui fut l’unique église-phare de l’histoire de la Russie.

Le saviez-vous ?

La moitié des cyclones européens sont formés au-dessus des îles Solovetski. Pourtant, le climat y est relativement doux, avec une température moyenne de +1°C l’hiver. Il y fait plus chaud qu’à Moscou.


Y aller

Si vous n’avez que peu de temps, préférez l’avion : de 150 à 250 euros l’aller-retour (en haute-saison), le trajet dure 4h30. Une fois arrivés à Arkhangelsk, reprenez l’avion, cette fois-ci pour 30 euros l’aller-retour et 45 minutes de vol.

Si vous optez pour le train, le prix oscille entre 40 et 90 euros, selon la classe choisie. Le trajet Moscou-Kem’ prend 26 heures. Des bateaux pour les îles Solovki (de 20 à 40 euros) partent régulièrement de Kem’, mais vous pouvez aussi décider de vous intégrer dans un groupe et partir d’Arkhangelsk pour à peu près le même prix.

S'y loger

Les îles Solovetski comptent quatre hôtels. Il est conseillé de réserver à l’avance.

  • Le plus comfortable est l’hôtel Solovki (trois étoiles) doté d’un bania, et à cinq minutes du Monastère. A partir de 62 euros la nuit.

  • L’hôtel Priout possède l’une des plus belles vues du Monastère. Situé en face de celui-ci, il offre des nuits à partir de vingt euros.
  • L’hôtel Halo est à cinq cent mètres du Monastère. Son architecture soviétique et son partage des chambres à la communiste peut avoir son charme. A partir de quinze euros la nuit en haute saison.

  • L’hôtel Zelonaya Derevnaya est le plus récent de l’île et se trouve en face du Monastère. Bania et matériel de pêche sont à la disposition du client. Nuits à partir de 50 euros.


Si votre porte-monnaie suit un régime drastique ou si vous êtes à la recherche de plus d’authenticité, vous pouvez habiter chez l’habitant, pour à peine trois euros par nuit.



Bon voyage !

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