Saturday 2 May 2009

Rencontre avec des vampires moscovites - Chronique

Yulia et Maria ont eu une adolescence bien remplie. Elles ont commencé en beauté par une dépression, stimulée par des hormones efferverscentes, puis ont décidé d’achever leurs parents par un interminable séjour dans le monde des gothiques. De frêles jeunes filles, elles sont devenues d’étranges oiseaux de malheur, dont les plumes se confondent avec des lambeaux de dentelle déchirée et dont le pesant maquillage coule tristement sur leurs joues blanchâtres. Leur arrivée est précédée par le martèlement de bottes à clous. Les babouchkas ont l’habitude de se signer sur leur passage, révèle Yulia avec une fierté non dissimulée, et les jeunes s’écartent d’elles avec méfiance.

Etre gothique implique en effet un goût prononcé pour la provocation et une répulsion marquée pour toute forme de socialisation. La conversation est pour le moins malaisée, entre les attaques de Yulia, expliquant que toute personne extérieure à la communauté gothique « ne comprend rien à la vie » et les remarques insidieuses de Maria, qui souhaite que j’enlève mon pull, « trop blanc». Heureusement, elles s’adoucissent dès que le thème de la mort est évoqué. C’est leur sujet préféré, avouent-elles en retrouvant le sourire. Depuis qu’elles ont troqué leurs poupées Barbie contre des bagues aux insignes satanistes, la Faucheuse hante en effet leurs moindres pensées et actions. « Nous ne vivons pas, m’explique Maria. Nous espérons la mort. » Pour Yulia, elle sera extatique, une fiole de poison au bout du bras, tandis que Maria préfère l’imaginer en sacrifice sublimé par une effusion de sang brutale.

A en croire Maria et Yulia, il ne s’agit nullement d’une des maintes perversions de la société moderne, dont la nouvelle génération serait victime. Certes, le mouvement gothique est apparu au début des années 1990 et son origine serait anglo-saxonne et musicale. Mais, selon les jeunes femmes, « les valeurs gothiques sont ancrées dans la culture russe. » Elles citent par exemple la babouchka de Yulia, à qui l’avenir apparaissait tout aussi sombre qu’il apparait aujourd’hui aux yeux de sa petitefille.
La gothique parfaite se doit de souffrir – comment pourrait-elle, sinon, désirer la mort ? – et de se scarifier pour que la douleur physique apaise la peine psychique. Seule exception à la règle : le cimetière. Dans ce lieu, sacré pour tous, mais plus encore pour nos apprenties corbeaux, les jeunes filles avouent avoir le droit d’esquisser un sourire. Elles aiment en effet à se promener parmi les tombes, méditer sur les squelettes qui les entourent et lire du Baudelaire à haute voix. Entre amis, elles opèrent alors « l’étape suprême qui leur permet de mieux communier avec la mort et ses élus » : boire le sang qu’elles s’offrent mutuellement.

Amis lecteurs, nous vous prévenons donc : évitez les cimetières à la nuit tombée. Amis vampires: un simple coup de fil à la rédaction et l’on vous indiquera avec plaisir où vous procurer votre nectar préféré.

Trois ans après leurs premières expériences, Yulia et Maria ont aujourd’hui respectivement vingt et vingt-trois ans. Elles ne se considèrent plus comme gothiques. Elles commencent même à ébaucher des rêves d’avenir. Yulia étudie la comptabilité ; Maria, elle, est en faculté de journalisme. Mais, si leurs scarifications se sont cicatrisées, « la mort est un état d’âme » avouent-elles, qui, sans nul doute, continuera longtemps à hanter les deux jeunes filles et leurs yeux cernés de noir.

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