Bonne nouvelle, les face contrôleurs moscovites sont humains ! Certes, à les voir rembarrer d’un sonore « NIET » la foule de jeunes clubbers qui se pressent à leurs pieds, on ne le croirait pas. Nous avons tous étés dans cette situation : alors que nous nous apprêtons à vivre une folle soirée dans un de ces clubs branchés dont raffole Moscou, voici nos rêves piétinés par un Cerbère désagréable. L’ego blessé et plein d’hargne, nous rentrons alors gentiment à la maison, tandis qu’une question nous hante : pourquoi ? Qu’est ce qui a pu motiver le refus de notre humble candidature ?
Le Courrier de Russie a rencontré les tyrans de la nuit et vous livre maintenant tous leurs secrets afin que le face control ne passe plus par vous.
Lourde responsabilité
Nastia, vingt ans à peine, est déjà physionomiste au célèbre Club XIII. Ses yeux, cernés de lourd maquillage noir, scrutent la foule qui s’agglutine à quelques mètres d’elle. Dans son écharpe blanche, un petit microphone grâce auquel elle transmet ses ordres aux molosses barrant la route aux aspirants clubbers. Elle désigne une jeune fille, puis une autre, et les fait entrer. Un jeune homme suivra ; tous les autres se verront refuser le privilège. La sélection est rude. « C’est de la pure intuition, explique la jeune femme. Je me demande toujours si j’aimerais danser près de celui-ci ou, si j’étais un homme, si j’offrirais un verre à celle-là ». Arrivent deux blondes, apparemment identiques de la tête aux pieds. L’une passera le face control, l’autre non. « L’une des deux avait l’air d’une parfaite idiote !, s’indigne Nastia. " Et son sac à main était en croco alors que ses bottes étaient en cuir ! Un véritable impair fashion ". Nastia s’estime responsable de l’ambiance sur le dancefloor. Depuis six mois qu’elle s’occupe du face control, elle a déjà dû essuyer de cuisantes erreurs. Comme cette bande d’ivrognes qui ont agressé une strip-teaseuse et que les videurs ont sorti à grand renfort de coups de pieds.
Amitié des peuples
Le souci de ne pas mettre en danger l’équilibre d’une soirée préoccupe tous les physionomistes de la capitale. A Raï, Pacha, face contrôleur parmi les plus désagréables de la nuit moscovite, avoue sans complexe : « Je refuse systématiquement ceux qui ont un faciès un peu trop typé, à part, bien sûr, s’ils sont Européens ou Américains. Mais les Ouzbeks, les Tadjiks et les caucasiens ne rentrent pas dans « ma » boîte ». Interrogée, l’assistante des relations publiques de Raï confirme. Et tente de se justifier : « Vous comprenez, notre clientèle ne se sent pas à l’aise lorsque des immigrés dansent à côté d’eux. Ce n’est pas la même culture ». Pacha prévient pourtant : « Attention, nous ne discriminons pas les jolies filles, même si elles viennent d’Asie Centrale ou du Caucase ».
Cool control
A Solianka, les critères sont loin d’être basés uniquement sur le physique. Vania a vingt-cinq ans, et s’occupe du face control de ce haut lieu de la nuit moscovite depuis un an. Ses baskets sont blanches immaculées, et ses yeux rieurs jouxtent une coiffure savamment négligée. Au premier abord franchement désagréable, regard hautain et bouffi d’orgueil, il se déride dès que l’on aborde le sujet de ses méthodes. Et devient un de ces jeunes que l’on s’attend à retrouver à Solianka : bavard, sympathique et plein de style. « Il faut que les gens soient souriants et qu’ils aient l’air prêts à passer une bonne soirée ». Il réfléchit quelques secondes, puis ajoute : « Leur état d’esprit doit être complètement européen, sans prise de tête, avec un bon style de vie et d’habits». La maison se targue d’avoir le seul « cool control » de la ville. Mais en réalité, la sélection y est aussi dure qu’ailleurs, voire plus. Un jeune homme, look impeccable et dégaine parfaite de fluokid, se voit refuser l’entrée à notre grande surprise. Il a eu le malheur d’attacher ses chaussures avec des lacets sales. Un peu plus tard, trois jeunes gens aux lunettes fashion et cravates déjantées se font, eux aussi, éconduire. Vania explique : même si leur style était irréprochable, il leur a trouvé un air trop hautain. De manière générale, Vania semble plus sévère avec les garçons. Pourtant, si les filles portent des jupes trop courtes ou des décolletés affriolants, les voilà automatiquement recalées.
Abus de pouvoir
Pas banal pour un club moscovite. Habituellement, les cerbères de la nuit ont plutôt un faible pour les demoiselles déshabillées. Nous sommes allés faire pour vous un tour à Soho Rooms, club hype et bêcheur au possible. Impossible d’obtenir une interview avec le physionomiste, Slava, car la direction du club refuse d’apparaître dans un journal aux côtés de Raï ou de Solianka. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. Snobisme sans bornes. Si vous passez, un samedi soir, à Soho Rooms, vous y apercevrez ces jeunes filles au minois froissé, venant tout juste d’essuyer l’humiliation du NIET à l’entrée. Macha ne comprend pas : « J’étais inscrite sur la liste VIP, grâce à mon amie, manager du club. Mais une face contrôleuse vient de me dire que je ne convenais pas au dress code et qu’il m’était impossible de rentrer». Coup d’oeil à sa tenue : tregging en cuir du dernier chic, petit gilet en fourrure d’hermine blanche, et chaussures Marc Jacobs à quelques milliers d’euros. La jeune demoiselle, un trente-quatre à tout casser, semble tout juste sortie de la fashionweek. Interrogée sur son choix, la face contrôleuse refusera de répondre. Les voies de la nuit moscovite sont parfois impénétrables. Macha fulmine : « Ils abusent de leur pouvoir, c’est tout. Il n’y a rien à comprendre».
Prix d’entrée
Vania confirme. « Oui, j’ai du pouvoir, et oui, j’adore ça ! C’est vraiment jouissif cette sensation de toute-puissance ! » Mais la tâche de face contrôleur n’est pas de tout repos. Beaucoup d’entre eux sont étudiants, le jour. « Pas facile d’assurer en cours après un week-end passé debout, dehors, dans le froid », grimace Nastia, du Club XIII. Pas facile non plus d’affronter, la nuit durant, des éconduits mécontents, ou des clubbers rendus agressifs par l’alcool. Lena a vingt-deux ans et elle est physionomiste chez Ikra. En fait de sélection de clientèle, Lena se contente de laisser passer tous ceux qui lui glissent un billet de mille roubles, refusant de temps en temps quelques ivrognes et, là encore, tous les Caucasiens et Asiatiques qui osent passer la porte de ce club pourtant peu réputé. Contrairement à Nastia, qui bénéficie de la protection de plusieurs gardes du corps, elle ne compte sur aucun gros muscle en cas de danger. Ce qui rend tout de suite les nuits plus difficiles. « Être face contrôleur à Moscou n’est pas fait que de gloire et de paillettes », rappelle une Lena désenchantée. « On finit par ne plus beaucoup sortir et par ne plus profiter de la nuit moscovite », regrette, quant à elle, Nastia. Vania résume : « Être face contrôleur, c’est aussi beaucoup de conflits, et cela nécessite une grande force de caractère. Ce n’est pas donné à tout le monde ». Tous sont devenus face contrôleurs par hasard, au gré des rencontres et des promotions au sein du club. Mais très peu sont certains de vouloir continuer.
Ruses et astuces
- Ouvrez systématiquement vos manteaux en arrivant près du club. Peu importe qu’il fasse moins dix degrés et qu’une tempête de neige s’annonce : le physionomiste doit pouvoir voir votre tenue.
- Souriez, ayez l’air naturel. Regardez la bête dans les yeux. Sauf si, par hasard, vous aviez un taux d’alcoolémie dans le sang légèrement au-dessus de la normale : dans ce cas-là, mieux vaut éviter le regard frontal, qui sera forcément titubant ; préférez discuter avec vos amis.
- Si vous êtes deux filles, venez avec un garçon. Si vous êtes un garçon seul, habillez-vous friqué. Si vous êtes une fille seule, n’essayez même pas.
- Les filles, soignez vos chaussures ! Pas de boue : vous êtes censées sortir d’une limousine ou, au pire, d’un taxi. Messieurs : la chemise blanche est de rigueur, col élégant et impeccable.
- Aussi absurde que cela puisse paraître, être sur la guestlist ou posséder la carte VIP d’un club ne signifie pas que vous échapperez au face control. Pas de relâchement vestimentaire, donc.
- Vous vous êtes faits recaler ? Ne revenez plus. Il n’y a rien de plus amusant pour un physionomiste que de voir sa victime rôder toute la nuit près de l’entrée, espérant qu’on ait oublié sa tête et que l’on cède finalement. Malheureusement, ce genre de miracle n’arrive jamais. Faites-vous discrets pendant quelques week-ends, changez de style, teignez-vous les cheveux en violet et retentez votre chance avec un plus grand sourire. Qui sait, le face contrôleur aura peut-être perdu la mémoire…
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