Saturday 2 May 2009

Bienvenue à Barbieland !



En poussant la porte de President-Models, on s’attend à ce qu’une nuée de mannequins blondes et filiformes nous entourent jusqu’à nous en donner le tournis. Il n’en est rien. Certes, quelques jeunes filles à la beauté stupéfiante rôdent, mais elles sont employées par l’agence et respectivement responsable de la machine à café et directrice des ressources humaines. Dans son jean DolceGabbana et son pull violet, Anton, vingt-cinq ans et la mèche rebelle, fait lui aussi illusion. Directeur des relations publiques de l’agence depuis voilà deux ans, il en connaît tous les rouages et appelle chaque mannequin par son petit nom. « Contrairement à nos confrères, nous ne traitons pas les modèles comme de la marchandise. » assure Anton de son bel accent américain. « Elles sont nos partenaires, voire nos amies ». Et de claquer une bise à une blonde aux jambes interminables, afin de prouver le bien-fondé de ses paroles.

Casting sur Internet

President-Models est une des agences les plus réputées de Moscou. Son catalogue propose trois cents jeunes filles aux visages virginaux, mais aussi quatre cents modèles masculins. Pour la plupart d’entre eux, le casting s’est opéré sur internet. Quelques images envoyés sur leur site, un coup de téléphone, et les voilà officiellement enrôlés pour la prochaine Fashion Week. President-Models fait partie de ces agences qui refuse désormais de pratiquer le scouting, qui revient à guetter la nouvelle Natalia Vodionova dans les rues moscovites. Anton hausse les épaules : « A quoi bon ? C’est une perte de temps et d’argent. Avec la banalisation de la photographie, une jeune fille sait lorsqu’elle a du potentiel. Ses amis lui disent. Elle n’a pas besoin de nous pour se décider à participer à un casting. » Signe des temps, le scouting se réalise désormais à travers les sites sociaux, notamment sur Vkontakte où des concours de beauté sont parfois organisés. L’agence se précipite alors pour cueillir la gagnante et lui proposer un contrat à gros chiffres. « De manière générale, explique Anton, nous n’avons aucune difficulté à repérer nos futures mannequins. » Et il ajoute, non sans une certaine fierté nationale : « D’autant plus que nous sommes en Russie ! ».

Femmes au travail et hommes au chômage


Mais trouver l’homme qui fera la Une des magazines ou qui ornera les prochaines publicités des chaînes cosmétiques est nettement moins aisé. Bien que leur nombre à President-Models surpasse celui des mannequins femmes, force est de constater que leur visage viril n’a… rien de beau. Pour La Redoute, qui a organisé avec l’aide de President-Models, un défilé de Michael Klein, trouver les hommes russes qui sauront porter sa dernière collection fut extrêmement difficile. Car sourcils en unibarre, menton de travers et yeux qui louchent font souvent partie des apanages des « mannequins ». Le casting des agences serait-il moins sélectif pour les hommes que pour les femmes ? « Absolument pas », répond Anton. « Nous nous basons simplement sur d’autres critères et privilégions un corps parfait à un visage sans défaut. C’est ce que recherchent avant tout nos clients. »

Un pari risqué, et loin d’être gagnant puisque la grande majorité des publicitaires et des stylistes font finalement venir leurs mannequins de l’étranger ; très peu font appel aux Russes, situation qui s’inverse dès qu’il s’agit des modèles femmes. « Trouver du travail est très difficile », confirme Ilya, vingt ans, plastique de rêve et visage cauchemardesque. « Je suis obligé d’opérer des rondes et d’appartenir à plusieurs agences, car une seule ne pourrait me fournir assez de travail pour que je survive. ». Cumuler deux agences voire plus est une nécessité pour certains mannequins, mais pour President-Models, il relève du délit et est passible de licenciement. Anton prévient : « Nous avons des contrats d’amitié avec la plupart des autres agences de mannequinat. Si une de nos modèles déserte, elle est aussitôt dénoncée. » La fidélité est une qualité primordiale dans le dur monde de la mode car, explique Anton, « une mannequin à l’état pur ne vaut rien. Il faut tout lui apprendre. »

Les opportunités sont ailleurs


En effet, être mannequin ne se réduit pas à faire la moue langoureusement sous les flashs d’un photographe plein d’inspiration. Il faut savoir poser et marcher ; ce qui n’est pas une mince affaire. La plupart des agences européennes de mannequinat possède leur propre école, avec des professeurs aguerris qui apprennent aux futures top l’art du dandinement sur le podium, mais aussi l’anglais – afin de comprendre les instructions du styliste – et une bonne éducation mondaine pour briller lors des after-parties qui ponctuent la plupart des défilés. A President-Models, s’il n’y a pas d’école, il y a ces professionnels venus de New York comme de Paris pour former les beautés russes aux techniques du mannequinat.

C’est d’ailleurs cette volonté de professionnaliser ses mannequins qui différencie l’agence de ses concurrentes, aux dires de Andrei Medvedev. Dans son bureau avec vue sur le Noviy Arbat, le nouveau directeur de President-Models tient davantage pourtant du vieux loup de mer que du jeune premier, avec sa barbe de trois jours et sa belle voix rauque. Cela fait vingt ans qu’il fréquente le milieu de la mode ; il a même connu « Yudashkin avant qu’il ne devienne Yudashkin », comme il aime le rappeler avec une pointe de fierté. Andrei est aussi fier de ses mannequins, qu’il considère comme les plus jolies des podiums russes. Mais il est réaliste : « Si elles avaient un véritable potentiel, elles ne seraient plus ici. Nous envoyons toujours les meilleures en Europe, où elles ont de véritables opportunités. ». Comme Olga Kurylenko, qui travaillait à President-models avant de devenir la dernière James Bond girl.

D’autant plus que la crise vient de transformer l’Eldorado de la mode russe en zone sinistrée. Comme la plupart des agences de mannequinat, President-Models a essuyé de graves revers ces derniers mois et a même failli sombrer. La plupart des clients de l’agence sont en effet en difficultés financières et optent pour des agences aux mannequins moins coûteuses, dont les prix descendent jusqu’à 1000$ le défilé. Andrei ne décolère pas : « A ce prix-là, les mannequins ont de la cellulite et ne savent pas un mot d’anglais. Les nôtres coûtent plus cher – de 2000 à 3000 dollars, certes, mais elles sont parfaites et surtout, elles n’ont jamais fait d’escorting. » Car escort et mannequinat se confondent souvent en Russie, aux dires d’Andrei. « Nous sommes la seule agence de mannequinat qui refuse cette source de revenus », confirme Anton.

Beauté perdue


Grâce à son poste, mais aussi par intérêt personnel, Andrei a beaucoup voyagé. Lorsqu’on lui demande si c’est en Russie que l’on trouve les plus belles filles, il répond immanquablement d’un hochement de tête convaincu. Puis s’enferme dans un mutisme de quelques minutes, avant de préciser gravement que c’était le cas de la génération précédente mais non plus de celle qu’il côtoie aujourd’hui dans les castings. « Il y a dix ans, les femmes russes avaient du chien, beaucoup d’énergie et un véritable caractère de sauvage. », explique Andrei. « Aujourd’hui, elles sont devenues fades et léthargique, à force de ne plus avoir à se battre pour survivre. » Et d’ajouter : « Voyez Natalia Vodionova. Pas de sourire. Juste un air de gamine amorphe. On est loin des mannequins pleines de vie comme Linda Evangelista ou Cindy Crawford, qui d’un regard savaient embraser l’assistance. Ça, c’était des femmes. » De manière générale, Andrei avoue de ne plus être touché par la beauté féminine, qu’il fréquente au quotidien sous sa forme la plus parfaite. « Cela me permet d’être plus professionnel ! », ajoute-t-il en jetant à Anton un regard qui en dit long.

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